Le Couloir de la Dent

François Lachaux – 3 septembre 2020

Une semaine a passé après la découverte du couloir de la Ratelière avec Olivier Daligault et la Petite Trotte de Passy Plaine Joux. Me voici déjà de retour au cœur des Pointes des Fiz avec ma femme Magali cette fois-ci. L’objectif est de gravir le couloir de la Dent dont nous avons tant entendu parler par Sébastien Talotti. Si nous réussissons cette ascension, notre projet est de redescendre par l’impressionnant Couloir de la Ratelière.

Le couloir de la Dent est situé entre le sommet de la Dent 2636m et celui des Jumelles 2692m. On l’observe très bien depuis les Ayères des Pierrières. Cet itinéraire sert de retour d’escalade aux grimpeurs des Fiz comme le couloir voisin de la Ratelière. Le franchissement du socle des Fiz qui atteint le départ des grandes voies ainsi que ce couloir se réalise dans les deux sens. De nombreux clous et relais vieillissants sont encore présents. Cette partie basse en rebute plus d’un, y compris les grimpeurs car elle est constituée de pile d’assiette et de blocs en suspension. C’est donc un secteur peu fréquenté. Le cheminement est complexe.

Partir à l’aventure avec ma femme m’enthousiasme. Ce n’est pas tous les jours qu’on part découvrir un passage aussi ancien et important dans les Fiz. Nous avons confiance car nos compétences sont sérieuses. Magali a l’atout d’être aussi à l’aise qu’un chamois dans les pentes improbables. Elle lit parfaitement le terrain et sait trouver le meilleur itinéraire. Avec mon expérience, nous nous complétons parfaitement.

Nous partons à 10h15. Il est tard mais c’est bon signe. Nous ne sommes pas stressés par l’objectif bien qu’important, ni par la météo ni par le timing. Parti à vide pour économiser le poids, nous faisons le plein d’eau au bassin des Ayères. Sur le chemin rural de Moëde nous rencontrons les sympathiques cantonniers de Passy, Adrien Descombes, Vincent Paublan et Nicolas Lot. Ce sont de véritables amoureux de la nature et fins connaisseurs des histoires locales. C’est toujours un plaisir d’échanger avec eux. Le temps passe et commençons à avoir faim. Il faut attendre une heure pour que cette sensation disparaisse. Avec nos 5 « qui_collent_aux_dents » pour 2 (les « lunettes de romans », nos gâteaux favoris), on sait qu’on peut tenir une journée.

Vers 1950m d’altitude, nous trouvons le point de faiblesse qui permet de passer dans la longue barre rocheuse intercalée entre la piste jeepable et le socle des Fiz. Nous remontons facilement une pente herbeuse sur la rive droite du ravin nommée « Barmeché ». Nous traversons une seconde pente constituée d’éboulis jusqu’au pied du socle. Les choses sérieuses commencent. Nous cherchons le meilleur passage pour atteindre ce fameux socle qui mènera au couloir. L’option de montée la plus probable est celle d’un immense couloir entaillé d’une cheminée oblique. Nous essayons d’y accéder directement mais nous faisons face à un mur infranchissable. Nous insistons en contournant par la gauche grâce une petite cheminée puis en revenant à droite grâce à une vire. Nous sommes au pied de la cheminée dont l’escalade semble être dans nos cordes ! Nous préparons la corde, enfilons nos baudriers et mettons nos casques. J’essaye l’escalade en libre en imaginant la redescente en cas de problème et surtout en veillant que le niveau technique soit adapté. J’observe que la désescalade est impressionnante mais aisée.

Après à peine 10 mètres d’escalade j’aperçois un relais qui a l’air en bon état. Nous remontons les 50m de la cheminée en libre. Il y a des clous tout du long. Cependant la sortie s’efface au milieu d’un vaste éboulis raide et exposé. J’interroge Magali sur la possibilité de demi-tour en cas de problème. Un éventuel demi-tour ne semble pas lui poser problème, ce qui est loin d’être mon cas. L’aisance et l’agilité de Magali me surprendra toujours ! Je me retourne plusieurs fois pour sentir la réalité de la pente. Nous finissons par convenir ensemble qu’un repli ici est cas de problème serait préférable avec assurage. Il faut donc sortir pour trouver des rochers supérieurs permettant un rappel. Ce mauvais pas est bref mais intense. En arrivant sur une partie plate, je ne suis pas surpris d’apercevoir un relais. Je doutais en effet, que les grimpeurs redescendent ici autrement qu’avec une corde !

Il s’agit maintenant de rejoindre l’entrée du Couloir de la Dent située bien à gauche. Nous sommes  à l’aplomb du sommet Est des Jumelles mais le passage est situé à l’ouest des Jumelles. Nous suivons la ligne logique d’une vire dominant un entonnoir immense. La vue est saisissante. Alors que nous sommes presquesarrivés  à l’entrée du couloir, nous apercevons une grotte sur la rive gauche du couloir. Deux cordes et des mousquetons y sont entreposés. Nous traversons en diagonale vers la rive droite. La vue sur les Ayères des Pierrières est de toute beauté. Un mur de 4 mètres est à franchir. L’escalade est un peu plus difficile. Je pose une sangle et une main courante pour Magali en cas de besoin. Elle réussit sans s’en servir.

Le passage du bloc coincé

Le couloir se resserre. Nous entrons véritablement au cœur des Fiz. La suite n’est qu’une succession d’éboulis puis de gros blocs. L’escalade est facile jusqu’à un énorme rocher de plusieurs mètres de haut qui barre le passage. Nous nous rendons vite compte que le seul moyen de le franchir est sur la droite. J’essaye plusieurs fois mais je n’y arrive pas en raison de l’eau qui coule sur le rocher. Le pas fait 3 mètres de haut et il n’y a qu’une seule prise correcte. Je décide de superposer plusieurs pierres pour m’élever. Je n’y arrive toujours pas ! Je lance un mousqueton attaché à une sangle pour entourer un béquet. En le ratant, je réussis sans le vouloir à coincer mon mousqueton dans une fissure. Ma sangle à l’air de tenir. Je m’élance avec réussite grâce au « marche pied », à cette poignée inopinée et à la prise mouillée. En haut, je trouve facilement de quoi installer un relais et assurer Magali. Elle passe sans encombre. La prochaine fois on aura un coinceur !

Nous sommes maintenant au sommet du couloir au cœur de la grande faille qui sépare les Jumelles et la Dent. Un nouveau problème nous fait face. Un névé étroit au départ bouche le passage. Nous ne pouvons pas le franchir sur ses côtés, il faut passer dessus. Magali se colle en première à ce franchissement délicat. Elle creuse des marches et parvient à passer. Nous sommes encordés pour ce passage d’une dizaine de mètres.

Nous atteignons les Jumelles puis la Pointe de la Ratelière. Le plaisir d’avoir réussi ce couloir est fort mais l’aventure est loin d’être terminée. Nous redescendons par le couloir intégral de la Ratelière situé à côté, sans passer par la brèche. Olivier Daligault et moi l’avons équipé de 4 relais pour la descente en rappel la semaine dernière. Seul manque le rappel du haut que nous improvisons autour d’un béquet. La corde reste coincée alors que je veux la ramener. Je remonte et réalise un relais intermédiaire. Nous réaliserons ensuite 4 autres rappels dont un que nous fractionnerons autour d’un béquet en raison de nos cordes trop courtes. En effet il faut 2x60m pour la plus grande des cheminées.

Les rappels suppriment toute exposition et rendent la descente plus agréable. Nous rejoignons les contre pentes sans difficulté mais il nous reste un immense terrain d’éboulis mélangé de pentes herbeuses pour rejoindre la piste jeepable de Moëde. Les rayons du soleil s’étirent et illuminent le massif du Mont Blanc.

Ca y est le projet est bouclé. Nous revenons au bassin des Ayères prendre de l’eau. Des gens jouent aux à la pétanque à côté ! Nous reconnaissons les parents de Sébastien Talotti qui ont un chalet aux Ayères. Nous discutons un moment puis rentrons en courant. Nous sommes heureux que notre couple fonctionne aussi bien dans la vie qu’en montagne. Nous savons que ces instants sont précieux…

Itinéraire C2C